Pakour Maoundé est un petit bourg situé à 28 kilomètres de Kabendou (département de Vélingara). Il a la particularité d’être habité par une forte majorité de chrétiens, principalement des Peuls. Cette forte communauté qui vit un christianisme aux couleurs locales avec chants, lectures et prières en langue peule a réussi à briser les barrières de l’incompréhension et ses clichés pour construire une relation fondée sur le respect et la fraternité avec ses frères et sœurs musulmans.
Un Peul chrétien ! Cela ne court pas les rues dans un pays à plus de 95 % musulman comme le Sénégal. Pourtant, c’est une réalité à Pakour Maoundé, dans le département de Vélingara. Dans ce bourg très paisible situé à une trentaine de kilomètres de Kabendou, on trouve l’une des plus importantes communautés de Peuls chrétiens de la région de Kolda. Ici, ils portent les mêmes noms que les musulmans : Boiro, Baldé, Kandé, Gano, Diao, Sabaly, Diallo. Une véritable curiosité pour quelqu’un qui n’est pas habitué à voir cette ethnie embrasser une autre religion que l’Islam. Mais à Pakour Maoundé, ils sont nombreux ces Peuls à avoir trouvé le salut de leur âme grâce à Jésus. Ici, ces fidèles vivent intensément leur foi chrétienne, sans tabou ni contrainte. Quand les musulmans glorifient Allah dans leurs maisons ou à la mosquée, les cantiques résonnent à la paroisse où les offices se tiennent régulièrement.
La présence chrétienne dans cette localité précède l’arrivée de l’islam, selon François Boiro, le premier fidèle à être baptisé à Pakour, en 1964. Depuis, dit-il, la flamme ne s’est pas éteinte. « Cette zone était remplie d’animistes et il était très rare de trouver d’autres religions. C’est n’est que bien après que l’islam est venu s’installer », indique-t-il. « Vélingara a eu sa mission en 1957 et deux ans plus tard, le curé est venu ouvrir une école à Pakour. À l’époque, le seul établissement scolaire se trouvait à Ouassadou, distant de 25 km de Pakour. C’était la seule école publique pour le Pathiana (de Démoussou à Bandé). En plus du Français, le catéchisme était aussi enseigné aux élèves », renseigne M. Boiro. A l’époque, confie-t-il, 99% de la population étaient constitués d’animistes et de païens. « Des pères blancs sillonnaient le département, aidés par un Diola de Bignona qui collaborait avec eux pour des missions d’évangélisation. Ce dernier les a attirés à venir s’installer à Pakour », informe-t-il. De plus, ajoute M. Boiro, le prêtre Laurent Donouail est venu s’installer à Pakour en 1967 après que le président Sékou Touré a renvoyé de la Guinée Conakry les Français. Il est décédé en 2000. Il y avait un autre prêtre à Vélingara qui s’appelait Robert Laurent », rappelle François Boiro qui est sans doute l’un des rares Peuls chrétiens à devenir président de Conseil rural. « Les chrétiens ne font même pas 10 % dans la zone, mais en 2002, la population s’est soulevée pour m’obliger à faire de la politique. De 2002 à 2009, j’ai été élu président du Conseil rural de Paroumba. J’ai obtenu un second mandat de 2009 à 2014 », fait-il savoir avec humilité.
À Pakour Maoundé, la conversion de plusieurs musulmans au christianisme n’est plus un mystère. C’est une chose tout à fait naturelle et personne ne crie à l’apostasie. « On n’oblige pas quelqu’un à venir nous rejoindre », précise M. Boiro.
Deuxième secrétaire adjoint paroissial, Robert Diallo était musulman. Mais Jésus lui a chuchoté à l’oreille et il a épousé le Christianisme. « Mon père était musulman, il m’a donné la liberté de choisir ma religion, ma mère aussi. Je n’ai pas eu de problèmes. J’étais le seul garçon de la famille, ils m’ont respecté dans ma religion ». Aujourd’hui, il vit et pratique sa religion sans grande difficulté avec sa famille. « Ceux qui ne connaissent pas diront que ce n’est pas possible, qu’un Peul ne peut pas être chrétien. Mais ici, ce n’est pas un fait nouveau. Dès que nous nous intégrons, c’est fini », soutient-il. À Pakour Maoundé, nombreux sont ces Peuls qui, comme Robert, ont, à la recherche de leur vérité spirituelle, trouvé sur leur chemin l’Église.
Une paroisse fermée faute de prêtre
De 2000 à 2006, la paroisse était fermée, faute de prêtre. Mais les populations s’organisaient au besoin pour faire des célébrations. Avec l’arrivée de l’Abbé Martin Ngom en 2006, la flamme s’est ravivée et la communauté est redevenue beaucoup plus dynamique. « Quand je suis venu, je me suis appuyé sur François Boiro qui connaissait bien le milieu et qui m’a beaucoup aidé », confie le curé. « La paroisse est restée fermée pendant six ans, faute de prêtre. Kolda dépendait du diocèse de Ziguinchor et il n’y avait pas assez de prêtres pour desservir toute la zone. Créé en 2000, il n’y a que 21 prêtres dans le diocèse de Kolda qui fait le double de celui de Ziguinchor », indique le premier responsable de la paroisse Notre-Dame de la Miséricorde. Selon lui, la présence d’un pasteur est très importante pour entretenir les brebis. « Je suis venu solidifier la foi dans cette zone. À mon arrivée, la communauté ne dépassait pas 100 fidèles. Aujourd’hui, ils sont plus de 300 fidèles ». De l’avis de l’Abbé Martin Ngom, beaucoup d’habitants avaient embrassé le christianisme depuis l’arrivée du Père Laurent. « Avec l’influence de l’Islam, plusieurs familles sont parties, mais beaucoup sont revenues », s’est-il réjoui. Pour le curé, les femmes participent à la vie de l’Église. Le seul hic, selon lui, est qu’elles ne sont pas alphabétisées. « Les femmes de la zone ne sortent pas beaucoup. Elles ont des difficultés pour savoir ce qui se passe ailleurs. C’est un milieu très enclavé et ça joue dans la mentalité. C’est tout le contraire des jeunes qui sont instruits. Ce sont des intellectuels et c’est un atout. Ils sont au fait de tout ce qui se passe, des évolutions et ça facilite la collaboration avec eux », assure le curé.
La communauté chrétienne qui compte également des Koniagui possède sa paroisse Notre-Dame de la Miséricorde, un vaste domaine qui comprend une petite chapelle. « C’est ici qu’ils viennent prier et se faire baptiser ».
Liturgie, catéchèse et chants en langue pular
Pour mieux intégrer une communauté, il faut parler sa langue. Le curé de la paroisse Notre-Dame de la Miséricorde l’a très bien compris. Très vite, il a enrichi la pastorale et prêche en pular, langue la plus parlée à Pakour Maoundé. « Dieu comprend toutes les langues », a-t-on l’habitude de dire. Et l’Abbé Martin Ngom a jugé opportun de traduire la messe dans la langue que les fidèles connaissaient le mieux. Depuis, la paroisse a inséré la langue peule dans sa liturgie. Dans cette paroisse, la liturgie a été enrichie ; ce qui, selon le curé, est très rare. Parce que, dit-il, le sérère, le diola, le mandjack sont d’habitude les langues locales les plus utilisées. « Nous avons donc jugé nécessaire de traduire quelques mots en pular. Les salutations se font dans cette langue », indique le curé. Il fallait aussi enrichir les chants dans cette langue. C’est ainsi que deux CD ont été réalisés par les soins du curé. Les chansons « Baba mène diomirado », « Mbada salmina Mariama » et « Alla mawdo » sont disponibles dans cette langue. « L’Évangile aussi a été traduit en pular. La première et la deuxième lecture se font aussi en pular », fait savoir le curé. « Le pular est aussi utilisé pour la catéchèse, ce qui facilite la transmission du message. Toutes ces initiatives nous ont permis de faciliter la communication, de permettre à la population de savoir que l’Église est ouverte à toute une communauté, que le latin n’est pas la seule langue parlée », précise-t-il. Chanter et prêcher dans la langue locale est devenu une routine dans la paroisse Notre-Dame de la Miséricorde de Pakour. Le message passe facilement et le curé ne cache pas sa satisfaction. « Ils sont impressionnants. À chaque célébration, la paroisse fait son plein. La communauté est très intéressée. Les prières se font dans la cohésion et la communion », indique-t-il.
Pour le curé, c’est son intégration sociale qui lui a facilité la tâche. « Je connais bien la culture peule. C’est une ethnie qui voyage beaucoup, qui a affronté beaucoup de cultes et qui a une langue très riche. Je me suis basé sur l’essence de leur culture pour mener à bien ma mission », avoue-t-il.
Premier prêtre peul originaire de Pakour
À Pakour Maoundé, la vocation aussi se porte bien. Les jeunes n’ont pas peur de s’ouvrir à un engagement à vie par l’émission des vœux perpétuels. Selon François Boiro, nombreux sont ceux qui ont répondu à l’appel divin. « On a beaucoup de jeunes qui se sont engagés, mais qui n’ont pu devenir prêtre », indique M. Boiro. En 2010, les populations de cette localité ont eu l’occasion d’assister à l’ordination sacerdotale du premier prêtre peul du Sénégal. C’était celle de Bernard Boiro qui a fait le don de sa vie à la mission de l’Église. Les autochtones ont ainsi pris part à cette occasion à une cérémonie réunissant des personnes venues de différents horizons. Ce qui leur a permis de mieux comprendre ce qu’est l’Église catholique. « Du fait que la cérémonie a été organisée en public, les gens ont pu y assister sans se sentir inhibés, ce qui aurait été le cas s’ils avaient eu à franchir le seuil d’une église. C’était aussi une occasion pour permettre aux populations de voir comment devenir prêtre », a expliqué le curé. Cette cérémonie a enrichi les Peuls de cette partie du pays qui se sont sentis honorés du fait de partager le privilège d’appartenir à l’Église universelle. Tout comme les hommes, des femmes sont aussi appelées à une vie pleinement consacrée au Christ. Pakour Maoundé compte également une religieuse peule du nom de Céline Baldé, informe François Boiro. « Nous avons aussi un grand séminariste en troisième année de théologie qui va devenir diacre ou prêtre », ajoute-t-il.
Un exemple de dialogue islamo-chrétien
Marqué par une forte présence de Peuls chrétiens mêlée à la population musulmane, Pakour Maoundé se veut un exemple de coexistence entre les deux religions. Dans ce patelin, les deux communautés ont brillamment réussi à briser les barrières de l’incompréhension et ses clichés. Pendentifs en forme de croix, chapelet, amulette ou voile islamique, les signes extérieurs de l’appartenance religieuse s’affichent en toute convivialité dans l’espace public. Ici, les relations entre chrétiens et musulmans peuvent être fraternelles. Aucune tension ou friction n’a jamais été signalée ou remarquée, témoigne-t-on. Au village de Pakour, les familles sont mixtes, où il y a des chrétiennes et des musulmanes. « On vit en bonne collaboration. Le dialogue islamo-chrétien fonctionne bien. On mène ensemble les activités dans la fraternité et la solidarité », atteste M. Boiro. Chacun pratique sa religion en respectant celle de l’autre. Chaque communauté participe aux célébrations et fêtes religieuses de l’autre. Les responsables religieux se rendent visite. « Pendant les fêtes de Korité et de Tabaski, je vais les saluer et ils sont contents. On prie ensemble. Il y a une parfaite cohésion dans notre milieu. Ce qui a facilité mon intégration, c’est le lien de parenté à plaisanterie entre les Sérères et les Peuls et ça date de longtemps », assure le curé. Le dialogue ne se limite pas seulement aux rencontres. C’est aussi cette convivialité sur le terrain, lors des activités qui requièrent une forte mobilisation.
Par Samba Oumar FALL Idrissa Sané Le soleil