Après s’être fait connaître comme grand ordonnateur du Forum économique mondial de Davos, Richard Attias imagine le New York Forum, « une plate-forme d’échanges résolument tournée vers l’action ». Natif de Fès, au Maroc, l’homme d’affaires, spécialisé dans l’organisation d’événements internationaux, en a créé une déclinaison africaine, illustration de son attachement particulier au continent dont il est un observateur avisé. Entretien.
Le Point : L' »afroptimisme » actuel se justifie-t-il ?
Richard Attias : L’Afrique, c’est la Terre avec un grand T, avec en son sein tout ce que l’humanité a créé, avec malheureusement les imperfections que sont les conflits, la guerre… Ma vision de l’Afrique n’est donc pas naïve car c’est de l’Afrique contemporaine qu’il est question. Le premier pilier du développement de l’Afrique est et sera la paix, qu’il est indispensable de faire progresser dans plusieurs régions d’Afrique, avec et par les Africains.
Comment enraciner la croissance africaine ?
L’Afrique doit améliorer la transparence de sa gouvernance, mieux lutter contre la corruption, consolider ou restaurer la confiance des jeunes dans les dirigeants. Local ou étranger, l’investissement doit être responsable et permettre un développement durable de l’Afrique. Pour être concret, il doit impérativement déboucher sur des emplois.
Alors que la Chine et nombre de pays émergents profitent amplement de l’Afrique aujourd’hui, quid des entreprises françaises ?
Leurs parts de marché ont été divisées par deux en dix ans. Leur situation au Nigeria est emblématique à plus d’un égard. Dans ce pays de 170 millions d’habitants, avec un PIB de 260 milliards de dollars et une croissance de 6,8 %, seules 20 entreprises sont présentes, soit quatre fois moins que les entreprises chinoises, trois fois moins que les entreprises anglaises… La réalité, c’est que la France n’est plus que le 5e pays exportateur vers l’Afrique.
Que suggérez-vous aux entreprises françaises pour se mettre au diapason de l’évolution du continent ?
L’ère des territoires d’influence comme au temps des colonies ou de la Françafrique est révolue. L’heure est aux réseaux d’affaires au service de la conquête des marchés. À l’image des Anglo-Saxons qui vont dans les pays anglophones, les entreprises françaises seraient bien inspirées de ne pas négliger l’espace francophone tout en regardant là où il y a une forte croissance. Ainsi, par exemple, du Kenya, de l’Éthiopie, du Nigeria et de l’Angola, selon le Boston Consulting Group et le Fonds monétaire international. Le continent africain doit être considéré comme un actif économique à long terme dont bénéficieront aussi les Africains. Désormais, il faut non seulement accepter un meilleur transfert de technologie, mais aussi s’inscrire sur le long terme. La valeur doit être partagée avec les Africains. Enfin, les stratégies doivent tenir compte de la culture d’affaires de chaque région.
Dans votre approche, l' »Homo africanus » vient au premier plan…
Un nouveau citoyen africain se dessine aujourd’hui. Il est éduqué et maîtrise tous les outils de la technologie. Il a accès à l’information grâce au téléphone mobile et a une vraie soif de réussir. Pour lui, la croissance doit être inclusive. Elle doit lui profiter ainsi qu’à ses proches. Enfin, il est aussi à l’image du Tunisien, c’est-à-dire prêt à résister jusqu’à ce que la Constitution qu’il veut soit tolérante, moins sectaire et donne une place équilibrée et juste à la religion…
Comment voyez-vous la femme africaine dans ce nouvel environnement ?
Elle va diriger l’Afrique à terme. Non pas qu’elle prenne le pouvoir politique, mais elle va l’influencer à travers les ONG, la société civile, comme l’illustre ce qui se passe avec la Centrafrique. Dans ce contexte, les premières dames, qui sont très actives avec leurs fondations, ne seront pas en reste. La femme africaine va donc avoir un rôle clé, comme c’est déjà le cas dans le domaine de la microfinance, dont elle est le principal et le meilleur acteur. Pour renforcer le tout, elle va continuer à être le socle de la famille, c’est-à-dire l’ADN de l’Afrique. Quand la femme africaine regardera dans la même direction que l’homme africain, le continent va aller très loin.
Votre agenda africain est plein pour 2014. Que répondez-vous à ceux qui sont tentés par la critique suivante : « Bah, il vient faire de l’argent comme tout le monde » ?
Ma présence en Afrique date de plus de vingt ans. J’y étais bien avant qu’on pense que c’était un continent émergent. J’aime être impliqué à l’endroit où émergent les idées et les actions qui serviront de leviers à une dynamique durable de développement. C’est le cas de l’Afrique. Mon épouse et moi avons créé des fondations à but non lucratif, le New York Forum Institute pour les jeunes sans emploi et la Cecilia Attias Foundation for Women pour un meilleur accès des femmes à l’éducation et aux soins de santé. Nous avons investi beaucoup d’argent pour y faire démarrer des programmes.
Pourquoi un tel niveau d’investissement de votre part ?
D’abord par passion et aussi pour apporter ma contribution à l’organisation d’événements qui permettent à des acteurs globaux de rencontrer ceux qui font l’Afrique au quotidien. Nous accompagnons les dirigeants et les acteurs de la société civile dans leur entreprise de transformation du continent.
Parmi les leaders économiques du continent, y en a-t-il qui vous séduisent particulièrement ?
Il y a bien sûr les fameux capitaines d’industrie, mais il y a aussi et surtout le jeune créateur africain méconnu. Il a la trentaine et doit affronter un obstacle majeur : l’accès au financement. De fait, je lance ce défi aux dirigeants africains : que chacun d’entre eux crée dans son pays une banque de l’innovation avec le parrainage de professionnels et de personnalités internationales qui aideront à financer des projets, loin du copinage et de la corruption. Peut-être que, pour 20 projets présentés, 15 échoueront mais 5 permettront de créer ce dont l’Afrique a le plus besoin : des champions africains.
Comment voyez-vous l’Afrique à l’horizon de l’année 2030 ?
L’Afrique doit dans certaines régions pouvoir connaître des transformations de ses infrastructures au niveau de celles de la Chine. Ensuite, je vois une Afrique éduquée, avec de nombreuses universités. De jeunes Africains en sortiront sans avoir besoin de s’expatrier à tout prix. Je vois une Afrique avec une véritable classe moyenne capable de consommer. Des défis devront cependant être relevés : d’abord, celui de l’écologie. L’Afrique devra protéger sa faune, sa flore et son eau. Ensuite, celui de la paix. Où en serons-nous des conflits pas nés aujourd’hui mais qui pourraient émerger des mouvements extrémistes religieux, du terrorisme d’al-Qaida ? L’Afrique doit être un continent de tolérance zéro dans ce domaine, dans celui de la piraterie aussi. Elle doit être vigilante au fait génocidaire. Il faut traquer sans relâche ceux qui font fuir les investisseurs et déstabilisent certaines des régions parmi les plus belles du continent.
Propos recueillis par MALICK DIAWARA (lepoint.fr)