Après cinq ans d’absence, elle est revenue à 52 printemps tel un phœnix qui renait de ses cendres. Ses rêves enfouis de petite fille furent d’être médecin ou architecte. Guérir ou construire. Dasha Nicoué finira par prendre le ciel en devenant, pour Air Afrique, nurse puis hôtesse de l’air. A l’atterrissage, elle se retrouvera avec un crayon et un feuillet : la styliste venait de voir le jour. Elle quitte son nid, se fait une place au soleil et prend son envol vers la gloire entre les années 90 et 2000. A la suite de turbulences pour un financement de 25 millions de francs Cfa, Dasha perd pied et s’écroule. Elle sombre dans les problèmes financiers. Pour ne pas arranger les choses, le deuil surgit, déferle et l’engloutit : son ex-mari, son papa quittent ce monde. La traversée de l’océan des déboires, dans la solitude et la soif de revanche sur le sort, fut longue et éprouvante. Elle durera cinq années au bout desquelles, la styliste béninoise, qui revendique et assume sa nationalité sénégalaise, sans renier ses origines, retrouve les rives du bonheur. Le cœur léger et la tête remplie de projets. Dasha raconte son odyssée à Rewmi Quotidien. Entretien.
Vous venez de clôturer le défilé «Reloaded». Avez-vous atteint vos objectifs ?
Oui, mon objectif est atteint. Je voulais faire passer un message et je crois que cela est passé : j’ai vu des gens dans la salle qui m’ont dit avoir pleuré sur le passage des albinos. C’est bien que les gens soient sensibles à des causes nobles. Les albinos, comme je le dis, n’ont pas demandé à naître avec leur malformation, ce sont des personnes à part entière et il faut leur donner la part qui leur revient dans la société. La plupart des albinos qui ont défilé ce soir (jeudi 31 octobre) n’ont pas eu l’assistance nécessaire. L’une d’entre eux est sortie hier de l’hôpital, elle a tenu à participer. Un geste que j’ai trouvé fort, elle était fatiguée, mais elle a tenu à monter sur le podium. Je suis contente du résultat. C’est vrai que les canons sont ceux qui font du 34 ou du 36, mais tout le monde a le droit de s’habiller et de montrer qu’il est beau dans ce qu’il porte. Cela, peu importe sa forme ou sa taille.
A part Sadiya Guèye et Khadija Sy, vos pairs stylistes étaient absents. Comment expliquez-vous cela ?
Qui veut venir, vient. J’ai confié les invitations à un de mes collaborateurs. J’avoue que je ne me suis pas occupée de ce volet, parce que j’étais concentrée sur autre chose. Je devais au départ travailler avec une personne qui, à la moitié du chemin, m’a fais faux bond. Donc, je me suis retrouvée toute seule en train de tout gérer : la communication, l’organisation et même le cocktail, etc. Je pense que ceux qui sont venus, c’est parce qu’ils avaient de vrais sentiments pour moi et cela me fait plaisir.
Vous revenez au premier plan après cinq années d’absence. Qu’est-ce qui vous avait éloignée du milieu de la mode ?
La première cause est une subvention de 25 millions de francs Cfa qui m’avait été promise avec une attestation de virement à l’appui. Virement qui n’est jamais arrivé. Cela a creusé un trou dans mon budget et du coup, je me suis retrouvée avec des dettes. Cela n’a pas été facile à gérer, donc j’avais décidé de tout arrêter en attendant d’y voir plus clair. Il s’est trouvé qu’à la même période, j’ai eu deux deuils en l’espace de 18 jours : le père de ma fille et mon père. Cela n’a pas arrangé les choses, donc je me suis retrouvée prise dans ce tourbillon. Mais, j’ai essayé de résister à cette tempête, et maintenant, je pense qu’il est temps que je revienne et que je montre ce que je sais faire.
Lors de votre conférence de presse, vous avez déclaré avoir touché le fond. Expliquez-nous ?
Quand on est en pleine ascension et du jour au lendemain, tout s’écroule, ce n’est pas évident à gérer. Quand je dis que j’ai touché le fond, je veux dire par exemple qu’il m’est arrivé des jours… (elle cherche ses mots) Je ne sais même pas comment le dire. Il y a des jours où je n’avais même pas quoi manger. Tout le monde pense que je suis très riche. Il y en a qui me médisent même pour ça. Après, je n’en veux à personne, je suis ce que je suis et ceux qui me connaissent me connaissent.
Avez-vous été victime de la rivalité entre stylistes ? Un ou une collègue vous aurait-il ou elle précipité dans le trou ?
Sur ce coup, je ne dirai pas une personne, mais plusieurs personnes, et elles se connaissent. Je n’en dirai pas plus. Tant pis, j’ai pardonné. Mais, il y a des erreurs que je ne commettrai plus. Ce sont des gens qui ne font plus partie de ma vie, Dieu merci. Je leur souhaite beaucoup de réussite dans leurs affaires, mais qu’elles me foutent la paix.
Vous avez été expulsée de vos locaux, il y a quelques années. Comment en étiez-vous arrivée là ?
Je ne veux pas reparler de cette histoire. Cela a été très douloureux de voir à quel point la malhonnêteté humaine peut amener des gens à faire des choses anormales. Chacun de nous sait ce qui s’est passé et seul Dieu est juge, et je n’ai plus rien dans le cœur, j’ai pardonné à tout le monde. Je ne veux même pas savoir si ce monsieur occupe toujours les mêmes locaux, j’ai mis une croix sur cette affaire et j’ai tourné la page. Je n’en parle même plus, et c’est la dernière fois que je le fais.
«Je vais me remettre à l’exportation vers les Etats-Unis en essayant de profiter de l’Agoa.»
Après 25 ans de carrière, tout n’a pas été sombre. Que retenez-vous de positif, en regardant dans le rétroviseur ?
Je n’ai pas toujours fait les bon choix. On peut se tromper sur les personnes, ainsi que sur la stratégie à adopter et les actions urgentes. Ce que je veux surtout dire, c’est que j’ai pris du recul par rapport à un certain nombre de choses. Dasha va revenir et reprendre sa place. Le plus positif durant ces 25 ans de carrière, c’est qu’il y a une certaine forme de solidarité entre les créateurs, bien que ça ne soit pas parfait. Sur la route, on peut croiser des brebis galeuses, mais d’une manière générale, la solidarité existe quand même dans le milieu où j’évolue. D’ailleurs, je remercie certaines personnes que je n’ai pas besoin de citer mais qui se reconnaîtront. Toutefois, il y’en a à qui je ne dirai pas merci, parce que je ne sais pas faire semblant. Le milieu de la mode reste quand même un milieu magnifique, il faut juste savoir où mettre les pieds.
Quels sont projets immédiats ?
Rouvrir une boutique, j’ai déjà un local. Je vais continuer à faire mes productions. Je vais aussi me remettre à l’exportation, parce que j’ai eu à exporter vers les Etats-Unis dans les années 90. Et à l’époque, personne ne parlait d’Agoa, alors cette fois-ci, je vais bien essayer de profiter de ces accords. J’espère que cette collection me le permettra.
Racontez-nous vos débuts dans le stylisme ?
Je n’ai attendu qu’on m’intègre. J’ai montré ce que je sais faire, en participant à des manifestations. Je le reconnais aussi, parfois j’ai dû insister pour participer à certaines manifestations de mode. Et quand on a du talent, je ne vois pas pourquoi on se fermerait à l’autre. J’ai participé à pas mal d’événements qui ont eu lieu à Dakar, comme Sira Vision, Fashion Week, etc. A mes débuts, j’avais participé aux concours de la Sotiba et à un concours lors d’un salon de prêt-à-porter que la défunte Fatim Djim avait organisé en 1989, et là, le jury m’a attribué le premier prix, alors que personne ne me connaissait. Avant cela, j’avais juste fait la foire de Dakar où j’ai fais mon premier défilé et tout est parti de là. Après, on a commencé à parler de moi et ce concours a fait que le magazine «Amina» a parlé de moi et c’était parti pour l’international. Par la suite, en Côte d’Ivoire, j’ai participé à des événements de mode qui ont fait que j’étais citée dans la presse ivoirienne et les magazines de mode. Ensuite, c’était parti pour des salons de mode, à New York, Paris, et beaucoup d’autres choses. Et puis un jour, voilà tout s’est arrêté.
Un Bac D en poche, vous êtes devenue hôtesse de l’air pour finir styliste. N’est-ce pas un parcours atypique ?
J’ai eu mon bac D pour faire architecture ou médecine. J’étais passionnée par les deux, mais finalement, j’ai commencé à travailler pour Air Afrique comme nurse, pour les vacances, ensuite, le métier d’hôtesse de l’air m’a plu. J’ai passé avec succès le concours. C’est comme ça que j’ai arrêté mes études, chose dont je ne suis pas fière. J’aurais dû continuer mes études, puisqu’il était question que je travaille seulement deux ans, pour ensuite les reprendre. Mais, j’ai fait la paresseuse et rencontré un steward avec qui j’ai eu un enfant et le cours de ma vie a complètement changé. Pour le stylisme, en fait, j’ai toujours dessiné mes vêtements depuis petite. J’étais très bonne en dessin, je n’avais que des 18 ou des 20/20. D’ailleurs, au bac, on a dû réunir une commission pour baisser ma note, parce que j’avais plus dix, ce qui était énorme. Et un jour, une amie à mon frère m’a poussée à préparer une collection, chose que j’avais faite pour m’amuser. Après, je suis partie aux Etats-Unis avec la collection et je gagne un marché de 2800 dollars (1,5 million de francs Cfa). C’est comme ça que l’aventure a commencé en décembre 1987. L’année suivante, en 1988, je participe à la foire de Dakar et voilà comment ma carrière de styliste a débuté.
Comment vos parents avaient pris ce virage à 180 degrés ?
Ils m’ont accompagnée. J’ai des parents qui étaient sévères certes, mais qui nous ont toujours laissés notre indépendance, parce qu’eux-mêmes l’étaient. Mon père n’est plus là, ma mère oui. Quel que soit le choix que je fais, et même si je dois me tromper, elle me donne son accord. Elle donne quand même son avis, quand elle n’est pas d’accord, sans toutefois, rien m’imposer.
«Porter des vêtements brillants en plein jour ne passe pas. La lumière tape dessus, on ressemble à un sapin de Noël. Beaucoup de Sénégalais, malheureusement, pensent que tout ce qui brille est joli.»
Les mannequins se plaignent souvent qu’au Sénégal, les stylistes ne paient pas bien. Acceptez-vous ce reproche ?
Dieu m’est témoin : en 1996, j’ai payé des cachets 100 000 francs Cfa à des mannequins pour un défilé au Méridien avec la Sotiba. Par la suite, j’ai eu à payer des cachets moindres, comme 75 000, 50 000 ou 40 000, je n’ai pas honte de le dire. Chaque fois que j’ai l’occasion de les payer correctement, je le fais. Celles avec qui j’ai voyagé peuvent en témoigner. Elles ne se sont pas plaintes, au contraire. Je les ai amenées en Inde où elles avaient touché 200 000, plus le voyage, le séjour et une gratification après le défilé. Je pense qu’il n’y en a pas beaucoup qui ont eu cela parmi elles. Il y en a que j’ai amené au Benin, en Afrique du Sud, en Côte d’Ivoire, en France, etc. Mais quand on n’a pas de budget correct, on est obligé de voir les prix. Souvent, c’est à contre cœur que je paie de faibles cachets.
Vous êtes une Béninoise. Quelle est votre histoire avec le Sénégal ?
Au départ, c’était le pays de mon ex-mari. Ensuite, c’est devenu un pays que j’aime, parce que le climat me convient, d’autant plus que je souffre de rhumatismes articulaires chroniques depuis l’âge de 8 ans. Il y a moins d’humidité que partout ailleurs en Afrique de l’Ouest. La logique aurait voulu que je sois basée à Abidjan, quand j’étais hôtesse de l’air, parce qu’elle est à une heure de vol de Cotonou, cela m’aurait permis de voir régulièrement ma famille. Dakar, c’est un choix que je ne regrette pas, même si durant les périodes difficiles, j’avoue que j’ai pensé à partir. Mais, finalement je me suis dit : «non, ici, c’est chez moi, je me bats et je retrouve ma place». Et c’est ce que je suis en train de faire. Je suis sénégalaise, j’ai ma carte d’identité et je vote. Le Bénin reste mon pays d’origine, où je suis née, celui de mon père, ma mère est togolaise. Je ne peux pas tourner le dos à mes racines, mais pour le moment, je suis au Sénégal. N’empêche, je vais régulièrement au Bénin, au moins deux fois par an, voir la famille et les amis.
Les Sénégalais de façon générale se vantent souvent d’être les plus «in», en matière de mode en Afrique. Êtes-vous du même avis ?
Il y a deux catégories de personnes : les raffinées, qui savent s’habiller, et celles qui versent dans le folklore. Porter des vêtements brillants en plein jour, dans les codes, cela ne passe pas. La lumière tape dessus, c’est clinquant et cela vous donne un air de sapin de Noël. Les gens, malheureusement, n’ont pas les bonnes informations concernant les codes et ils pensent que tout ce qui brille est forcément joli. Alors que parfois cela ne les met pas en valeur, au contraire. Il y a également la propension à s’habiller comme les mannequins américains qu’on voit dans les clips et c’est vraiment l’horreur, parce qu’on a l’impression une seconde de ne pas être à Dakar, mais à New York. Et même à New York, les gens ne s’habillent pas comme ça, encore moins dans les rues. C’est uniquement dans les clips qu’on voit ce genre d’habillement. Les gens regardent trop les clips et ils s’imprègnent trop de ça, et ce n’est pas la mode.
Propos recueillis par
Christine MENDY
Photo : Amadou DÈME
Source: rewmi.com