Alors que le sommet de Paris consacré à l’intelligence artificielle entame son deuxième jour, l’inquiétude monte dans certaines professions, notamment chez les spécialistes du doublage, comédiens et techniciens. En France, ce secteur représente près de 15.000 emplois qui travaillent pour l’ensemble du monde francophone. Ils réclament au gouvernement français une protection contre l’IA générative.
Les professeurs d’anglais ont beau conseiller à leurs élèves de regarder les films et les séries en version originale, on estime que 90% des francophones préfèrent les versions doublées. Même votre serviteur cède souvent à la facilité, surtout quand la voix française est très connue, voire incontournable.
Ainsi, je ne supporte pas le lieutenant Columbo sans le doublage de Serge Sauvion, où Starsky et Hutch sont les voix de Jacques Balutin et Francis Lax, et je ne vous parle pas de l’inoubliable Patrick McGoohan dans la série « Le prisonnier », doublé par Jacques Thebault qui avait choisi la formule « Bonjour chez vous » pour traduire en anglais « Be seeing you« . Jacques Thebault qui doublait aussi Steve McQueen ou Robert Conrad, avec à chaque fois des variations dans son timbre.
Ces comédiens ont souvent fait le succès de ces séries dans le monde francophone, car un doublage, ce n’est pas qu’une traduction, c’est une réinterprétation, un vrai travail de comédien. Je vous ai cité volontairement des exemples anciens, et vous me direz que certains de ces doubleurs sont morts depuis longtemps. Oui, mais pas pour l’intelligence artificielle, et un exemple récent a plongé la profession dans la consternation.
Dans le dernier film de Sylvester Stallone, « Armor », la voix française du comédien américain a été modélisée par une IA, car Alain Dorval, voix historique de Stallone, reconnaissable entre toutes, est décédée en février 2024. Sa fille, Aurore Bergé, actuellement ministre de l’Égalité dans le gouvernement Bayrou, reconnaît avoir donné son accord pour un essai, mais dément avoir autorisé la moindre diffusion. Le résultat n’est semble-t-il pas très bon, mais l’IA progresse de jour en jour.
Tôt ou tard, elle sera très proche du modèle humain. Et encore, dans ce cas précis, on avait demandé l’avis de la famille. Mais dans l’animation qui fait vivre de nombreux comédiens, c’est déjà la jungle. Des plateformes basées à Dubaï, aux États-Unis ou encore en Israël s’émancipent du règlement européen sur la protection des données pour proposer en français des livres audio ou des services de doublage avec des voix volées, dénonce l’intersyndical qui participe aux négociations avec les producteurs.
D’autres secteurs comme la publicité sont aussi touchés, pas forcément pour le produit final, mais pendant les essais ou les maquettes, autant d’heures de travail qui n’existent plus. Et c’est tout bénéfice pour les commanditaires. En France, une minute de doublage peut coûter de 280 à 400 euros. On comprend les inquiétudes des professionnels qui, devant l’IA, pourraient rester sans voix.